Archives de la Zone Mondiale, 2017
France, langue française.
Violence.
Violence des mots. Violence des images que ces mots provoquent dans le crâne de celui qui les lit.
Violence de ces images, de viande, carcasses de porc, carne putride. Carcasses sur des crochets de boucher.
Violence des visions de tortionnaires impartiaux, torturant l'esprit de
celui qui a, sur les pages, fait couler son encre pour ne pas faire
couler son sang. Répandu sa colère sur les feuilles pour ne pas répandre
son cerveau sur les murs.
Violence des tortionnaires avides de douleurs physiques,
scarifications, brûlures. Tortionnaires affamés de douleurs
psychologiques, qui se prénomme Charlotte ou
qui se nomme folie.
Folie latente, sournoise, qui guette François, l'effleurant à peine, pour brutalement lui arracher les boyaux.
Folie omniprésente, qui fait sombrer au plus profond du néant, mais pas
assez pour empêcher la conscience de refaire surface. Conscience du
néant. Lobotomie. Avec l'espoir vain de ne plus souffrir. Nada. Souffrance.
Nada.
Attirance physique. Sexe, masochisme, plaisir de la chair dans la douleur. Garçon ou fille, cela ne reste que chair, éveil des sévices, éveil des supplices, désirs ardents, toujours pourtant en revenir au sang, à la destruction, à la mort.
Des pages qui se suivent, lambeaux d'histoires, pas même
des nouvelles. Des cris arrachés par FanXoa, des tentatives
d'amputation de son mal-être, pour tenir, pour dans l'écriture trouver
un rempart au passage à l'acte. L'acte de destruction. L'acte
d'auto-destruction.
Des pages d'où transpirent les prémisses les plus noires de ce qu'a pu
être le Bérurier Noir de Pali-Kao, de Nada et de Macadam Massacre. Le
journal d'un garçon qui s'éventre pour étaler ses tripes et s'exploser
le cerveau à l'aide des grenades que dégoupillent ses mots...
J'ai, pour marquer les emplacements des passages forts ou
les illustrations marquantes, utilisé des petits post-it. Jaunes, roses
et bleus. Des marqueurs qui jalonnent l'ouvrage, éparpillés dans la noirceur qui couvre ces pages. Jalons bariolés qui
n'atténuent en rien la force des claques que ces passages m'ont foutu
dans la tronche. Tentatives avortées, pour faire semblant de ne faire
que lire. Faire comme si tout cela n'était que de la littérature...
Croire qu'on n'est pas touché. Pas affecté. Pas concerné. Faire semblant
de ne pas entendre les cris que mes propres souvenirs poussent au plus
profond de mon être. Simulacre. Faire semblant de ne pas sentir la
vérité. Celle de la déroute, du malaise, qu'on a vécu à l'âge qu'avait
FanXoa quand il écrivait.
Chaque "histoire", jamais plus longue que cinq ou six pages, est
indépendante. Même si des personnes, des mots, des événements, des idées, des traumatismes sont récurrents.
Un livre qui pourrait dans l'absolu se lire d'une traite. Si les
pages qui le constituent n'étaient pas pleines de ces mots sombres, de ces
phrases choquantes, de ces bouleversantes éviscérations qui nous
éclaboussent. Un livre à cœur ouvert qui répand le sang de son auteur
sur nos mains et que l'instinct de préservation, de survie même, nous
oblige à fermer pour reprendre plus tard. Un livre qu'il faut lire aussi
en plusieurs fois pour en apprécier la saveur, une œuvre qui se doit
d'être dégustée petit à petit. Pour s'imprégner de chacun des mots,
chacun des passages qui forment les "histoires", chacune des
illustrations qui introduisent ou ponctuent les textes.
Je n'ai pas de recommandation à faire. Vous n'êtes pas obligé de me croire.
Mais si vous voulez lire quelque chose de tout à fait
extra-ordinaire, si vous vous sentez le courage de plonger les mains
dans les viscères, si la vue de carcasses sanguinolentes ne vous fait
pas peur, lisez ce livre. Si vous avez grandi au son des Bérurier Noir,
si vous avez passé de longues nuits blanches à vous torturer l'esprit
dans d'inextricables malaises existentiels, lisez ce livre. Si vous
n'êtes pas réfractaire à une forme d'art glauque, malsain, sombre,
repoussant et pourtant attirant à un point extrême, lisez ce livre.
Des
histoires courtes, des illustrations chocs, qui confèrent à cet ouvrage, véritable œuvre d'art, un caractère inclassable, un format particulier entre le recueil de
nouvelles, le carnet de notes et le journal d'un homme.
Jeune.
Éventré.
J'ai découvert l'existence de ce livre - alors en précommande - lors de l'une de mes premières
pérégrinations sur le web, il y a quelques mois, quand le désir ardent
de me replonger dans l'univers des Bérus s'est fait sentir. Certaines personnes autour de
moi voient mon intensif retour à cette époque - où le rock français
indépendant explosait à la face de la bourgeoise variété - comme la crise
passagère d'un quarantenaire nostalgique. Il n'en est rien : il s'agit
bien là d'un vital et essentiel retour aux sources de ce qui a
construit ma vie, un nécessaire besoin de revenir aux fondamentaux de ce
que je suis vraiment et non ce que le temps a voulu que je laisse
paraître.
Aujourd'hui, alors que je me suis mis à enregistrer tout seul mes "petites
chansons à la con" - sous mon pseudo d'époque Chris Deurire - je me dis que j'ai loupé
quelque chose. Il est sans doute trop tard. Pour moi. Mais il est toujours
temps de faire écouter ces groupes incontournables à la jeune
génération. Il est urgent même de partager notre colère avec elle !
Car la jeunesse se doit d'être en colère pour exister, pour résister. Et la colère est parfois lourde à porter, car elle est pleine d'incompréhension. Incompréhension du monde qui nous entoure, incompréhension des autres, incompréhension de son corps, incompréhension de soi.
Lire ce livre, c'est finalement peut-être mieux comprendre, mieux analyser le malaise qui nous habite, en plaçant les mots là où se trouvent les douleurs. Un exutoire à nos propres tendances suicidaires...
FanXoa, c'est François, chanteur des Bérurier puis cofondateur des Bérurier Noir avec Loran. Il est aujourd'hui docteur en histoire et chercheur pour l'Institut d'Asie Oriental au CNRS. Ce qui n'a rien d'étonnant quand on connait sa passion pour le Japon, omniprésente dans son œuvre.
Les Bérurier Noir, malgré une mort clinique, survivent pourtant, grâce au label "Archives de la Zone Mondiale" car, outre le catalogue complet des albums, ce label indépendant propose une série de 45t Dérives Mongoles, inédits et remix tirés de leur dernier album Invisible. Le deuxième single de cette série vient de sortir, il est dispo sur le site.
Mais ce label est aussi une maison d'édition... et c'est sous son nom qu'est sorti Un jeune homme éventré !
C'en est assez pour cette chronique atypique, car rédigée pour une œuvre atypique.
Il pourrait y avoir encore beaucoup à dire sur cette époque. Il reste en tout cas beaucoup de choses à découvrir ou redécouvrir...
Ressortez vos vinyles, écoutez du rock, faites des groupes ou, à défaut, encouragez les groupes locaux.
Et n'étouffez jamais plus votre colère.
Un jeune homme éventré, par FanXoa
Archives de la Zone Mondiale, 2017
Création couverture : Bruno Bartkowiak et PariA
Introduction de Virginie Despentes
Illustrations intérieures : FanXoa
Archives de la Zone Mondiale, 2017
Création couverture : Bruno Bartkowiak et PariA
Introduction de Virginie Despentes
Illustrations intérieures : FanXoa
Dépôt légal : Mai 2017. Sortie en Août 2017. 137 pages. 15 euros
ISBN : 978-2954888026