samedi 16 novembre 2019

Le club des punks contre l'apocalypse zombie, par Karim Berrouka.

Actusf, les 3 souhaits, 2016

Roman, France, langue française.

 

Le club des punks, il est composé de punks qui vivent dans un squat, comme des punks : principalement en se nourrissant liquide, fumant et jouant du punk (je résume, hein). Un matin, alors que certains d'entre eux se trouvent à l’extérieur du squat, ils se rendent compte qu'il n'y a plus grand monde de vivant qui bouge dans les rues. À part des flics. Par contre, il y a plein de gens morts qui bougent dans les rues. Les punks, ils restent donc dans leur sanctuaire, en tuant le temps comme ils peuvent, jusqu'à ce que le drame se produise : il n'y a plus de bibine* et il faut aller au renfort. Dehors. De par les rues pleines de morts qui puent et qui marchent.
L'air de rien, démarre ainsi la belle aventure du club des punks, qui feront tout pour sauver leurs potes, mais aussi pour détruire un mal bien plus grand que celui incarné par ces morceaux de barbaque mobiles, pourrissants et avides de cerveaux : en effet, des membres du Medef ont, eux aussi, survécu...
(En vérité, mon résumé il est tout pourri, mais j'assume : de toute façon, vous allez lire ce livre, parce que ce livre, il est super bien !) 

Affalé sur mon canapé, les yeux rivés sur le rien du néant, je tenais une bouteille de bibine* à la main.
Je décapsulais la dite bouteille dans l'optique d'irriguer une bouche en mal de houblon quand, éberlué, je constatai qu'une étrange lueur émanait du goulot. À la suite de quoi, bientôt, une brume opaque apparut, m'extirpant tout à fait de la torpeur dans laquelle je me trouvais encore quelques secondes auparavant.
Imaginez ma stupeur de voir se matérialiser - debout sur la petite table du salon - un gars bizarre, crête verte sur le crâne, exhibant un gros "A" cerclé sur son t-shirt noir déchiré, jeans douteux sur les jambes et rangeots aux pieds.
- Sors de ta nonchalante sieste larvaire, dans laquelle tu te fourvoies depuis trop de temps déjà. File sur internet, il est en ce moment proposée l'incroyable opportunité de t'instruire grâce au nécessaire et vital dernier ouvrage de Karim Berrouka, dédicacé par le grand maître lui-même ! Ce ne sera certes pas aussi cool que de lire le grand livre du Trash, mais cela te permettra le retour vers ce que tu as lâchement lâché il y a plus de deux décennies.
- J'ai soif. Tu peux enlever cet orteil qui trempe encore dans ma canette ? lui répondis-je.
- Oups, désolé ! D'ailleurs, moi aussi j'ai soif. T'as pas une binouze* à me refiler ?
Soupesant la bouteille et au vu de la légèreté soudaine de cette dernière, je me risquai à plonger un œil pour découvrir qu'aucune forme de liquide ne s'y trouvait.
- Dis-donc, enfoiré, t'as siroté toute ma bibine* ?
- C'est possible. Mais il y a longtemps alors. Ou je ne m'en souviens plus...
- Pas sympa...
- Bref, donc, ta mission première n'étant pas des plus douloureuse - je te promets de bons moments de rire et de joyeuses heures de lecture aussi instructives que belles - tu devras ensuite...
- Allez à la cave me chercher une bouteille pleine ! Salopard de génie sans bouillir à la con !
- Houlala ! Calmos, mon brave ! Je ne suis pas un génie, je suis Saint Jean Ludwig. Et laisse-moi t'expliquer ta mission II, le retour. Après avoir pris connaissance des Saintes et Belles Écritures de l'ouvrage que je t'incite à acquérir au plus vite, tu devras ressortir tes disques de quand t'étais pas un vieux con, toutes ces galettes de vinyle que tu dédaignes depuis si longtemps, car avant que ne vienne le temps de bouffer ces chrysanthèmes de merde, merde, merde par les racines, tu as une chose capitale à accomplir...
- Oui, je sais, aller chercher une bibine* à la cave !
- Non ! Enfin, si ! Mais pas une : deux binouzes* !
Je me levai donc, laissant cet étrange énergumène flotter au-dessus de ma petite table, pour me diriger vers la cave quand, soudain, je me réveillai en sursaut, affalé sur mon canapé, dans la position initiale dans laquelle je me trouvais au moment de décapsuler ma bière*.
Non sans appréhension, j'actionnai finalement le décapsuleur et ressentis un réel soulagement en entendant le doux chant si familier du pschitt s'échapper du goulot...
Que soient bénis les abbés trappistes responsables de cette divine boisson.
Cependant, à la descente de la première salvatrice et réconfortante gorgée, vibrèrent au plus profond de mon âme les rythmes de l'irremplaçable Dédé, la boîte à rythmes des Bérus, suivis bientôt par le riff reconnaissable entre mille de Porcherie.   
C'est alors que je compris. Comme une révélation, une évidence même : les paroles de ce déglingué de Saint Jean Ludwig prirent tout leur sens.
Je ressortis Nada et le son de ma jeunesse réveilla en moi ce sentiment d'urgence ressenti à l'époque. Urgence de vivre, urgence d'avancer. Mais surtout, aujourd'hui, urgence d'instruire !
Instruire la jeune génération, lui faire écouter ces chansons pour qu'elle comprenne que le danger d'entendre à nouveau le bruit des bottes existe toujours, et qu'il est de notre devoir à tous de ne pas se laisser berner et encore moins de s'endormir. Comme il est aussi de notre devoir, à un autre niveau, de ne pas nous laisser bouffer par le Medef.
Partager avec eux ces chansons, car nos keupons contestataires faisaient, comme les Ludwig à l'époque, une musique bien plus jouissive que celle que les rapeurs protestataires peuvent produire aujourd'hui.
Punk is not dead - Yes, future !
Vous pensiez vous en tirer à si bon compte ? Vous vous berciez d'illusions, amis lecteurs, si vous pensiez que je vous laisserais ainsi après vous avoir parlé des Bérus et des Ludwig von 88, en passant outre les événements qui ont suivi ce jour béni de la visite sacrée de Saint Jean Ludwig.
Et bien sachez que j'ai suivi ses conseils. J'ai acquis ledit livre, que Karim Berrouka a eu l’obligeance de foutre en l'air en écrivant dedans avec son stylo bille (et j'en suis super jouasse, même s'il m'avait déjà esquinté un autre de ses livres, La Porte, lors d'un salon il y a moult années. Mais je vous parlerai de celui-ci un autre jour. Bref, une fois acquis, j'ai trimballé un peu partout ce copieux volume car il m'a été impossible de le lâcher !
Je me suis tout bonnement régalé, parce que ce livre est bourré de moments de bravoure, de moments de dénonciation, de moments punk'n'roll, de moments qui fleurent bon le houblon, et cela toujours avec cette pointe d'humour décalé qui caractérise le style de cet auteur que je vous recommande plus que chaudement !

(Cette chronique a été rédigée il y a plus de deux ans, soit en 2017 il me semble bien. Karim, Grand Maître du Trash, a depuis commis d'autres forfaitures: un livre qui me touche particulièrement, comme il est un bel hommage à Lovecraft : Celle qui n'avait pas peur de Cthulhu, et avec ses potes des Ludwig, un Maxi puis un nouvel album plein de beaux et bons morceaux, qui vient tout juste de sortir : 20 chansons optimistes pour en finir avec le futur, que je vous recommande vraiment, mais vraiment tout plein... j'espère trouver le temps de venir vous parler de tout ça avant la fin du monde).
 
*nos dirigeants bien-pensants nous le recommandent (car ils tiennent sincèrement à ce que nous ne crevions pas trop vite et ce, afin de pouvoir payer taxes et impôts le plus longtemps possible dans le seul but de les engraisser) : il faut consommer les boissons qui rendent joyeux avec modération.


À propos de l'auteur (et un peu aussi de moi) :

Karim Berrouka, ça fait super longtemps qu'il fait partie de ma vie, et il ne le sait même pas ! Et en plus il s'en fout sûrement !
C'est lui qui, avec des potes, dans les années quatre-vingt, décide de faire du punk rigolo (mais pas que) en fondant les Ludwig von 88. Tout commence avec l'enregistrement du premier album Houlala en un week-end (magnifiquement réédité par les Archives de la Zone Mondiale), opus qui reste une tuerie absolue et que je réécoute toujours avec autant de plaisir. D’innombrables autres galettes suivent. C'est donc en partie lui qui m'incite alors à torturer ma guitare (classique) pour faire des chansons et créer ainsi un groupe avec mon cousin, groupe qui n'a jamais tourné et qui n'a enregistré que quelques titres sur une cassette jamais éditée (heureusement). Donc, le moi jeune à l'époque a une poignée de vinyles (le reste était sur des cassettes ripées) : deux Bérus, le premier Garçons Bouchers, et ce Houlala... Sacro-saint de mes albums préférés.
Or donc, le moi vieillissant se détourne de cette fureur de jeunesse pour se plonger dans la littérature fantastique, Poe et Lovecraft, mais ça vous le savez déjà. Et quelle n'est donc pas ma stupeur de croiser un jour le nom de Karim Berrouka au cœur même du bouquin dans lequel est publiée ma première nouvelle Le Puits (qui souffre, je trouve aujourd'hui, des méfaits du débutant) dans HPL 2007 (Editions Malpertuis). D'ailleurs, sa nouvelle "Soleil noir" y est une de mes favorites. C'est donc ainsi que Karim réapparait dans ma vie.
Et puis un jour, me balladant dans un salon de littérature fantastique en région parisienne je découvre une toute jeune maison d'édition prometteuse : Griffes d'Encre. Stupeur, à nouveau, car sur la couverture d'un de leurs ouvrages apparaît le nom de l'auteur dont je suis en train de vous parler (vous suivez ?). Et d'apprendre que, non seulement, ledit bouquin est à la portée de ma bourse, mais qu'en plus son auteur est, quelques tables plus loin, en dédicace ! Et pour mon plus grand plaisir, c'est avec le sourire et un stylo qu'il griffonne quelques mots dans le livre. Il ne sait pas alors qu'il fait partie de ma vie depuis longtemps. Mais c'est le cas de beaucoup de monde. Y'a beaucoup de gens qui aiment les Ludwig von 88.
Le temps passe, je poursuis ma vie d'écrivain du dimanche qui n'écrit pas le dimanche, en écoutant du métal et en allant au boulot tous les jours. Un jour me prend l'envie soudaine d'enregistrer mes propres chansons, anciennes et nouvelles (parce que je "compose" toujours) et de les partager en ligne (ma page Bandcamp est là, mais n'y allez pas). Et je réalise que j'ai toujours de la colère au fond du dedans de moi. Du coup je ressors le seul vinyle des Bérus qu'il me reste. Quant à Houlala, il a disparu. Je rachète plein de CDs et des vinyles aussi, et retombe dans ce monde que je n'aurais jamais dû quitter.
C'est à ce moment là que m'apparaît Saint Jean Ludwig, suite à la publication d'un petit entrefilet publicitaire d'actuSf sur Facebook, et Karim Berrouka, une fois de plus, ressurgit dans ma vie. Sauf que maintenant on est amis (lui, mon double et moi) sur Facebook, que je suis super content et qu'il s'en fout toujours autant, et que jamais, au grand jamais, je ne lui en voudrai, car c'est la "vie" des réseaux sociaux.
Ce qui est bien, c'est qu'il a écrit d'autres livres (et qu'il va en écrire plein d'autres), que je ne suis toujours pas aveugle, ni mort, et que je vais pouvoir les lire ! Joie.
Donc, les amis, lisez donc Le club des punks contre l'apocalypse zombie.
Parce que c'est un bon livre.

Quatrième de couverture :  
Paris n’est plus que ruines. 
Et le prix de la cervelle fraîche s’envole. 
Heureusement, il reste des punks. 
Et des bières. 
Et des acides. 
Et un groupe électrogène pour jouer du Discharge. 
Le Club des punks va pouvoir survivre à l’Apocalypse. 
Enfin, si en plus des zombies, les gros cons n’étaient pas aussi de sortie... 
Il est grand temps que l’anarchie remette de l’ordre dans le chaos ! 
Politiquement incorrect, taché de bière et de Lutte finale, Le Club des punks contre l’apocalypse zombie est un condensé d’humour salutaire.

Disponible un peu partout, comme sur le site de l'éditeur en cliquant ici, pour 18 euros. (Mais pas dédicacé. Eh non !)
Disponible aussi au format eBook,  5,99 euros.
Disponible encore en format poche chez J'ai lu, par exemple là, à 8 euros.Moi je dis : foncez !

Le club des punks contre l'apocalypse zombie, par Karim Berrouka
ActuSF, les 3 souhaits.
Illustration couverture : Diego Triporti. Conception : Eric Holstein
Mai 2016. 416 pages. 18 euros
Prix Julia Verlanger 2016.  
ISBN : 9782366298161

vendredi 1 novembre 2019

Caviardages, par Timothée Rey

La clef d'argent - 2015

France, langue française.

- Caviardages
Gabriel Bonpoigne est lexicographe. Il possède tout type de dictionnaires, des anciens aux plus récents. Il a pourtant trouvé, chez un bouquiniste, un exemplaire étrange non daté, sans éditeur, écrit par un certain Bonamy qui lui est parfaitement inconnu. Il contient des définitions relativement proches des autres dictionnaires. Cependant, à la suite d'une maladresse de sa part, cet homme qui tourne les mots dans tous les sens va découvrir que cet ouvrage a un pouvoir particulièrement étrange. Et ce sont alors les mots qui vont rapidement tourner la vie du vieux lexicographe sans dessus-dessous.
C'est court, efficace, une idée somme toute simple que Timothée Rey a habillée magistralement pour la rendre élégante à lire, la tournant et la taillant comme seul un tailleur sait ciseler avec justesse un petit cailloux pour en faire un diamant.

- Dans la galette
Quand on est un grand amateur de jazz et qu'on se trouve invité à une écoute de classiques de Duke Ellington, même si l'hôte est un inconnu absolu, on ne peut refuser. Ces rencontres fortuites apportent souvent d'agréables moments de discutions entre passionnés. Mais notre héros va découvrir avec effroi que, parfois, ces réunions peuvent aussi être emplies de terreur et révéler d'incroyables et insoupçonnés secrets...
Une magnifique et terrifiante histoire qui nous plonge dans la magie de la musique, jouée telle une incantation à des Dieux inconnus et terribles. Quant au final époustouflant, il confirme que cette nouvelle est un monument bâti sur une idée excellente.

- Reperdre Giulietta
C'est dans les ruelles et sur les places des oniriques Italies que chaque nuit Ludovic cherche longuement Giulietta, pour la retrouver enfin et la reperdre tout aussitôt... Un rêve récurant et sans fin qui fait de cette quête de la femme parfaite un cauchemar continu et insupportable.
Nous voici transportés avec le personnage principal dans ces Italies imaginaires, faites de plusieurs villes connues et de stéréotypes touristiques, pour une histoire encore une fois bluffante et belle.

- On n'est jamais trop prudent.
La vie de Gaëtan est régie par des obligations, des codes simples et précis qui se doivent d'être respectés et répétés quotidiennement. Certains pensent qu'il est dépressif, voire un peu fou, alors qu'il est tout simplement ordonné et prévoyant !
En maniant l'humour avec une aisance et une dextérité jubilatoire, cette histoire nous remet pourtant en place quand, à la toute fin, la réalité justifie les nombreux TOC et autres superstitions du personnage. Une amusante et cependant dérangeante histoire.

- L'étude du soir.
Claude, instituteur, a accepté de s'occuper de l'étude du soir. Il tient, un peu à sa propre surprise, un journal dans lequel il consigne les petites choses anormales. Tels ces tapotements dans sa salle de cours, qu'il semble être le seul à percevoir. Ou encore ce comportement étrange qu'on deux de ses élèves nouvellement arrivées.
Une angoisse sourd de ces pages écrites par le professeur, qui ne fait que transcrire les choses simplement tel qu'il les perçoit. Un style tout à fait différent donc des nouvelles précédentes, adapté au narrateur, qui change cependant au moment du dénouement. Encore une chouette histoire !

- Quand ça part en brioche...
Mikulas est pâtissier à Prague, il confectionne toutes sortes de gâteaux et brioches. Avec un petit tas de pâte souillé il confectionne un petit bonhomme qu'il place en décoration dans sa vitrine...
Timothée Rey nous fait visiter Prague sans qu'on s'en rende compte. Il connaît les spécialités culinaires du coin, et sait intelligemment agrémenter son histoire de mots tchèques, nous transportant à des centaines de kilomètres et conférant à cette histoire fantastique une crédibilité déroutante. Le dénouement nous enseigne cependant que cette histoire ne pouvait se dérouler ailleurs qu'à Prague. Un sympathique et magnifique clin d'œil en forme d'hommage à Gustav Meyrink.

- Chambre d'écho.
Il entend des sons. Des résonances. Puis des pigeons viennent se fracasser contre sa fenêtre, pour aller s'écraser plus bas, dans la cour. Il ne sait pas pourquoi, seulement autour de sa fenêtre, seulement sur sa fenêtre... Il sort, rien d'anormal dehors. Il rentre alors, il reste seul dans sa chambre. Seul sur son matelas. Seul.
Une étrange nouvelle que cette chambre d'écho. Étrange histoire que j'avoue ne pas être certain d'avoir absolument compris. Je me console en pensant que c'est plus que certainement volontaire...


Timothée Rey est un auteur talentueux qui sévit dans nombre de revues, fanzines et anthologies (j'ai eu l'honneur de le côtoyer dans HPL 2007, aux éditons Malpertuis) et dont le style (les styles, devrais-je dire !) sont solides et l'écriture jouissive pour qui aime le fantastique.

Chaque nouvelle de ce recueil est une petite perle noire, aussi rare que savoureuse, faisant de ce livre un met délicieux pour tout les amoureux de belle écriture au service d'idées somptueuses : un titre on ne peut plus adéquat que ce "Caviar d'âges", aussi goûteux qu'un spiritueux vieilli en fûts ancestraux durant des décennies...

Caviardages et autres nouvelles, par Timothée Rey.
La Clef d'Argent, collection KholekTh N°2
Novembre 2008. 122 pages. 9 euros
Couverture : Sébastien Hayez.
ISBN : 978-2-908254-70-9

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